Long documentaire de plus de 3 heures,
No Direction Home ne couvre pourtant pas l'intégralité de la carrière de Bob Dylan. Pas fou, Scorsese, dans sa passion actuelle pour les rétrospectives musicales (voir toutes ses anthologies du blues, disponibles un peu partout), décide de se concentrer sur la période qui a fait de Dylan dans les années 60 le concurrent américain des Beatles britanniques. C'est à dire de ses débuts (premier album en 1962) à la sortie en 1966 de l'album à juste titre mythique
Highway 61 revisited, ce dernier marquant le premier virage dans la carrière de Dylan, avec un passage du folk (avec juste Dylan, sa guitare sèche et son harmonica) au rock (avec guitare éléctrique et tout un groupe derrière).
Bob Dylan, jeune et pimpant au festival folk de je ne sais plus où mais pas de làDivisé en deux parties,
No Direction Home contient moultes interventions par ceux qui ont connu Dylan à l'époque, et qui furent assez vivants dans la dernière décennie pour en parler : entre autres Suze Rotolo (sa petite amie au moment des faits), Joan Baez (collaboratrice, amie et amante), Allen Ginsberg (poète de la Beat Generation, un pote à Bob) et bien d'autres : producteurs, musiciens, épiciers... Et puis Dylan lui-même.
La première partie du documentaire traite autant du début de la carrière de Dylan que de ses influences. Des influences déjà littéraires : Arthur Rimbaud, dont les poèmes faisant l'apologie des errances, de la liberté et du goût pour les expériences nouvelles ne pouvaient que plaire à un Robert Zimmerman désireux de s'éloigner de l'encroutement d'une vie de fonctionnaire à Duluth, Minnesotta (son lieu de naissance). Dylan Thomas, aussi, un autre poète, respecté pour ses compositions très agréables à l'oreille. Zimmerman retiendra d'ailleurs le nom de Dylan pour pseudonyme, même si selon ses dires il n'avait aucune intention de devenir célèbre avec ce nom. Enfin, la Beat Generation, avec des oeuvres très héritières de Rimbaud (mais en prose) : le
Sur la route de Kerouac faisant bien sûr office de tête de proue, avec toute sa passion pour tout ce qui sort de l'establishment. A tout cela s'ajoute des influences musicales, très nombreuses, et que Scorsese à réussit à mettre à l'écran avec des images que l'on devine assez rares. Citons le bluesman noir Leadbelly, qui a commencé sa carrière en prison, mais aussi et surtout Woody Guthrie, à qui Dylan a repris la portée sociale des textes, mais aussi le style de chant voire même carrément certaines mélodies. Guthrie est sans conteste l'influence majeure de Dylan, d'autant plus que lui aussi s'était mis à l'écriture avec un
En Route Pour la Gloire aux idées assez proches de celles de la Beat Generation.
Bref, toutes ces racines, outre qu'elles permettent de comprendre le pourquoi et le comment de la musique (et des textes) de Dylan, permettent aussi de cerner le personnage, qui n'est donc pas né du néant mais qui découle de toute une histoire culturelle et sociale. Dylan n'a donc pas été révolutionnaire, il n'a juste fait que reprendre et dépoussiérer de vieilles idées qui croupissaient dans les bouges New-Yorkais, dans les milieux d'étudiants fumeurs et glandeurs.
Une fois que l'on comprend ceci, c'est fort logiquement que l'on comprend que Dylan fut géné par son succès. Il évoque même le cas de sa reprise du morceau traditionnel
House of the Rising Sun, figurant sur son premier album (sobrement intitulé
Bob Dylan, dont les arrangements ont été intégrallement pompés sur un ami de Dylan, qui dans le documentaire prend çà à la rigolade mais qui à l'époque en avait gros sur la patate.
Iconisation et figure souriante : tout fauxPuis vient le moment des gros succès, avec les albums suivants,
The Freewheelin' Bob Dylan,
The Times they are a'changing,
Another Side of Bob Dylan. Là, Scorsese s'attarde à nous révéler la montée en puissance d'un mythe qui sera considéré comme un porte-parole de sa génération avec des chansons dites engagées comme
Blowin' in the Wind,
Masters of War,
Only a Pawn in their Game,
When the Ship comes in ou
The Lonesome Death of Hattie Carroll, où l'auteur fustige la guerre, les militaires, le gouvernement, la paranoi anti-communistes, le racisme... Avec images à l'appui, nous montrant un Dylan en train de chanter en 1963 lors du meeting où Martin Luther King délivra son célèbre speech "I have a dream".
Bref, pour Dylan, toute cette période là fut celle qui le porta au sommet. Ses chansons commencèrent à être reprises, ses prestations publiques lui apportèrent la gloire, les femmes faciles et tout ce qui s'ensuit...
La deuxième partie du documentaire nous dévoile l'envers du décors. Principalement axée sur le changement d'orientation musical de Dylan, son passage du folk au rock. L'album
Bringing It All Back Home marqua déjà une évolution. Mi acoustique, mi-éléctrique, il préserva cependant la réputation de Dylan dans le milieu du folk grâce à des paroles pourtant parfois considérées à tort comme engagées (
Mr. Tambourine Man, qui rend juste hommage à un musicien rencontré par le chanteur). Par contre, Dylan commençait déjà à en avoir marre de toute sa réputation d'artiste engagé, et de l'instrumentalisation dont il fut victime. A ce titre, lorsqu'il recut les honneurs d'une académie artistique quelconque, il fit parler la poudre lors de son speech de remerciements en disant qu'il "se reconnaissait un peu dans l'assassin de Kennedy". Tolé général, mais qui cela dit ne surprit guère ses admirateurs.
En revanche, la sortie de
Highway 61 revisited, en 1966, allait lui attirer de nombreux ennuis. C'est la partie la plus intéressante de
No Direction Home. On y voit déjà que Dylan ne se soucie pas de ses admirateurs, qu'il reste libre et qu'il fait avant tout ce qui lui plait. Son passage au rock s'accompagne ainsi de prestations lives assez étranges, ou le chanteur se fait copieusement insulter par un public d'intégristes du folk, qui n'hésite pas à le siffler, à l'insulter, et qui en rajoute après face aux caméras en disant que Dylan les a trahi. Celui-ci s'en fout (du moins en apparence), et déplore juste que les sifflements l'empêche d'accorder sa guitare convenablement. Il prend même un fan énervé à parti. Et il se plait même à demander à ses musiciens de jouer encore plus fort, pour énerver encore davantage le public. Chose qui d'ailleurs n'était pas sans risque, et plusieurs musiciens se firent la malle en cours de tournée. La même chose se reproduisit pour la sortie du chef d'oeuvre
Blonde on Blonde, accueillit de la même façon. Et la, Scorsese s'attarde sur la débilité incommensurable de la presse, qui ne comprend rien à rien. Un habile montage entre différents extraits de conférence de presse nous montre que les mêmes questions, totalement débiles, reviennent à chaque fois. Tournant principalement autour du statut de chanteur engagé de Dylan. Celui-ci déclare ne s'être jamais considéré comme un chanteur engagé et ne même pas savoir ce que c'est. Ce en quoi on peut quand même penser qu'il abuse. Mais enfin bon, cela faisait surement partie de son plan de carrière. En tout cas, une chose est sûr : les scènes où il est confronté à la presse sont de bon moment d'humour. Dylan y tourne en dérision les journalistes : il fait admettre à l'un d'entre eux qu'il n'a jamais écouté ses chansons, à un autre qui lui demande combien y-a-t-il de chanteurs engagés, il répond n'importe quoi sans que l'autre ne s'en rende compte, ou bien il tourne en ridicule les photographes qui lui demandent de prendre la pose.
Avec tout ça, Dylan n'y apparait pas comme quelqu'un de très agréable. Surtout avec ses interventions a posteriori, où il apparaît comme quelqu'un de froid, de cynique. Il déclare même à Scorsese que la presse de l'époque était aussi vaine que ce que Scorsese est lui-même en train de faire là. En d'autres termes, il se met en scène, il se forge une identitée fictive pour garder son aura mystérieuse qu'on lui prête. Il faut bien admettre que même si la presse peut se réveler stupide (principalement lors des effets de mode), elle se révèle aussi être l'une des clefs du succès de Dylan. Il est donc logique que celui-ci adopte publiquement une attitude très spécifique. C'est une partie de son personnage de Dylan, qui se veut insaisissable, sans lien avec rien, attaché nul part et donc "with no direction home", "a complete unknown", pour reprendre les paroles de la chanson
Like A Rolling Stone, sortie sur l'album
Highway 61 revisited. Le documentaire s'achève sur l'accident de moto dont Dylan dut victime, et qui tourna ses préoccupations vers la mort, la religion, tout cela... Encore une fois, il s'échappa de l'image qu'on lui avait fixé.
Bob Dylan vieux et pas jouasseNo Direction Home est donc un documentaire plutôt bien vu, entrecoupé de titres en live qui ne sont pas la uniquement pour le plaisir des oreilles mais aussi pour illustrer le portrait que Scorsese souhaite présenter de Dylan. Un portrait qui n'apprendra cela dit pas grand chose aux fins connaisseurs du chanteur, si ce n'est quelques anecdotes. Mais tout de même, on ne peut que saluer la profondeur d'un film de 3 heures qui ne se concentre en réalité que sur 5 années de la vie d'un chanteur à succès, réprésentant encore aujourd'hui, à tort ou à raison, la mentalité d'une époque donnée. Il n'est cependant pas dit que les novices y trouveront leur compte, probablement perplexes et ininteressés par ce qui nous est montré en dehors des prestations lives. En tout cas, il s'agit sans aucun doute de l'oeuvre la plus définitive relative au Dylan des 60's. Et surtout, n'hésitant pas à dévoiler les facettes les moins respectables du chanteur. Elle est aussi logique dans l'oeuvre de Scorsese, toujours en quête des racines de l'Amérique.