extraits de 3 des thèmes (ici encore dans un état assez brut) qui figureront dans un décryptage de Zombie/Dawn of the dead sur Cinétudes
L’histoire
Face à des évènements aussi grave qu’inhabituel, les hommes semblent désorganisés, paniqués et paralysés par leurs divergences sur la nature de la situation et donc sur les solutions à envisager. Face à cela, certaines personnes vont décider de fuir ce désordre et de s’organiser pour leur survie en petit groupe.
Francine Parker (Gaylen Ross) travaille à la télévision, la panique est totale dans les studios ou les programmes sont assurés tant bien que mal alors que des débats stériles battent déjà leur plein.
Stephen Andrews (David Emge) son petit ami travaille pour la même chaîne en tant que pilote d’hélicoptère, ils décident de fuir à bord de l’engin. Leur ami Roger De Marco (Scott H Renniger) est du voyage, soldat d’élite de son état (membre des SWAT), il leur présentera Peter Washington (Ken Foree), un de ses collègues qui sera donc le quatrième homme à bord de l’hélicoptère.
Fuyant les grandes métropoles riches en zombies et livrées à la panique de ses habitants, ils passent au dessus d’un centre commercial sur le toit duquel ils se posent et dans lequel ils décident très vite de se barricader.
Lorsqu’on lui parle de ses films de zombies, Romero déclare que pour lui ce sont des jouets sans implications émotionnelles, lui permettant de se laisser aller, de parler avec ses « tripes ».
Exutoire donc, ne niant pas l’aspect social ou politique mais avouant avoir traité ces thèmes inconsciemment, unintentionnellement ( ?)
Il ne cache pas son embarras lorsque on lui parle de ces films, s’expliquant difficilement leur succés mais évoquant tout de même leur « côté symbolique, leur manière d’extrapoler sur le devenir de la société moderne », leur pessimisme. (Propos relevés dans un entretien accordé à la revue Mad movies dans son numéro 84)
Fin du monde et punition divine
Zombie vient après Night of the living dead et donc on pourrait objecter qu’il ne s’agit là que d’un exercice de style autour du thème de l’invasion de zombie, il n’en est rien. En effet, le traitement est, en la matière, inédit car on est forcé de prendre du recul et de considérer le phénomène zombie comme quelque chose de global, on est donc plus dans l’ambiance du film catastrophe que dans l’épiphénomène évoqué dans Night of the living-dead. L’utilisation de l’hélicoptère est déjà un prétexte pour survoler mais tout de même évoquer certaines réaction face au phénomène zombie, les battues sont ainsi évoquées de manières clipesques-on y voit des militaires et des civils collaborer pour un « nettoyage » rural de zombies dans une ambiance aux relents de bière et de café- et le côté inutile, naïf et jovial de ces actions est accentué par le profil des personnages concernés( des white-trash et des militaires qui seraient sûrement plus utiles dans les grandes villes) et la musique. Cependant, le jugement sous-tendu par ces images en musique n’est pas cruel car l’être humain est présenté sous un jour naïf et volontaire, collectif et rigolard, l’humain n’est rien face à la fatalité mais se bat avec la même naïveté que n’importe quel animal.
Avant de passer à ce qui est l’essentiel du film : le siège, il est ici dépeint de manière efficace, la désorganisation et la peur qui envahit la société humaine tout entière accentuant l’enfermement de nos 4 personnages. Si le terme « humain » est ici souvent employé, c’est parce que dans ce film, le vivant est opposé au mort de manière constante, que ce soit individuellement (enjeu du « one in one »avec ou sans arme à feu) ou collectivement (pression des zombies en tant que phénomène de groupe et enjeux stratégiques en découlant) ; de la même manière les vivants sont opposés aux morts dans leurs rituels (manger de la chair humaine pour les uns et ne pas être mangés tout en subvenant à leurs besoins pour les autres) et la question de la race qui survivra, si elle est envisagée presque constamment de par l’omniprésence des zombies, est aussi évoquée d’un point de vue strictement logique aberrant (les zombies ont besoin de viande humaine pour survivre donc supprimons tous les humains pour les affamer ou alors supprimons des humains pour les nourrir et ainsi les « domestiquer »)
Les thèmes non évidents et sous-jacents du film sont multiples, certains ont été mis en valeur de manière fréquente dans les écrits qui en traitent comme la critique de la société de consommation mais le thème le plus présent est celui de la critique de la nature humaine, de la faiblesse des humains face à une situation qui les dépasse (le plus grand prédateur qui s’est créé son propre monde est la proie de ses morts).
Les réflexes consuméristes (récupérer l’argent qui sera à coup sûr obsolète dans ce nouveau monde même si « on ne sait jamais » ne sont qu’une illustration de cette bêtise de la race), la peur mal gérée (qu’elle soit enfouie pour certains comme Roger) ou absente (les pillards font preuve d’une inconscience qui dépasse la témérité), l’absence de collaboration, l’égoïsme (la fameuse scène – absente dans le montage européen - ou tous fument dans l’hélicoptère après avoir prétendu ne pas avoir de cigarette face à la demande d’un personnage extérieur au groupe), le racisme (le langage ordurier et raciste du soldat au début de l’intervention de la police), le clanisme.
Pour toutes ces fautes, le genre humain sera puni, il s’agit d’une punition aux causes inconnues (le vaudou est la seule allusion) et très sûrement divine (difficile de ne pas voir une punition de l’homme pour tous ses vices dont il ne sait – il le prouve ici – se débarrasser).
Qui dit punition divine dit punition aveugle et radicale, avec peu d’espoirs de survie. On peut se demander dans quelle mesure les personnages vont pouvoir survivre dans ce monde hostile. Survivre tout court car techniquement il est difficile de s’isoler des zombies : au-delà de leur nombre prodigieux ils ne pensent pas (un adversaire imprévisible est toujours redoutable), ne dorment jamais, ne craignent rien (à part peut être les flammes qui semblent les effrayer) et surtout ils sont « nous » et tous ceux qui deviennent « eux » vont devenir de nouveaux généraux imprégnés de réflexes et de secrets (Stephen guidera ses nouveaux « amis » au travers du panneau destiné à masquer l’entrée du repaire)
L’humanité
La considération de la personne humaine est un thème important de Zombie, et ce dans les deux acceptions du terme :
- Au sens d’ensemble des hommes , il s’agit d’une catastrophe à l’échelle planétaire, d’une punition divine infligé à la race humaine tout entière. En ce sens on peut dire que Zombie traite de Dieu (et de la religion chrétienne spécialiste de la résurrection des morts et de l’importance du vaisseau corporel) dans toute sa puissance (il est le grand gestionnaire du monde ici-bas et au-delà puisqu’il « gère » l’enfer : « quand il n’y a « plus de place »)., Dieu reprend une place de choix dans l’histoire humaine, dans cet évènement qui est le plus important sans doutes depuis la naissance de l’homme, Dieu évince Jesus-Christ et son sacrifice en incarnant la punition, on passe de l’icône du frère généreux au père en colère. Les humains ne sont du point de vue divin (ou du spectateur) que des gamins irresponsables et égoïstes, j’en veux pour preuve les images des battues (bières à la main, tueries prenant l’apparence d’un jeu) ou l’arrivée des pillards.
-Au sens de l’appartenance à la race humaine c'est-à-dire de ce qui fait de nous ce que nous sommes au-delà de notre chair. Cette thématique abordée dans de nombreux films de SF (AI, Animatrix, Solaris ou Terminator 2 de manière plus superficielle) est bien présente ici et illustrée au travers des dialogues (« ils sont nous et nous sommes eux » ; « …devenir une de ces créatures ») et surtout visuellement : la sauvagerie des pillards est montrée sous un jour très cru, comme pour mettre au premier plan leur inhumanité( ?) face aux « zombies-victimes », il est frappé, torturé, humilié (les tartes), dépouillé (les bijoux) et l’on est presque choqué par la cruauté de ces images qui s’enchaînent gratuitement.
L’ambiguité dans l’identité, que ce soit celle des victimes ou des agresseurs est patente dans l’enchaînement du massacre des zombies et leur vengeance illustrée par de longues scènes de cannibalismes réduisant à néant le paradoxal travail d’humanisation des revenants effectué par les pillards en se comportant de façon déshumanisante avec les zombies (les zombies reprennent d’autant plus leur rôle de tortionnaires si l’on garde à l’esprit qu’ils semblent ne pas avoir besoin de manger pour survivre, le cannibalisme apparaissant plus comme un vice que comme un instinct utile). Romero a là encore l’intelligence d’éluder la question non sans y faire allusion ; justifier le besoin de chair fraîche eut été aussi ridicule que d’avancer une explication cartésienne à l’apparition des zombies et à la résurrection des corps.
Le racisme et le mythe du surhomme:
Il s’agit là d’un thème cher à Romero, dans la trilogie, les trois films mettent un scène un héro de couleur noire, même si Romero à propos de Night…qualifiait dans certains entretiens le choix d’un acteur noir de pure coïncidence (aucune allusion à la couleur de peau ne figure dans le scénario de Night of the living dead), on ne peut s’empêcher de penser que ce choix (conscient ou non) n’est pas innocent.
On pourrait penser que dans la situation dramatique qui est celle d’une invasion de zombies, les hommes laisseraient de côté certaines tensions pour être plus efficace, bien au contraire, ces tensions sont par moment exacerbées, ces tensions sociales qui s’ajoutent à la tension initiales sont particulièrements marquées dans Day of the dead ou l’opposition militaires /scientifiques rend le climat très oppressant (même si dans ce dernier film, la mysoginie est plus récurrente)
.Pour en revenir à Dawn, il est deux séquences particulièrement parlantes à ce sujet, la première est l'assaut de l'immeuble du début du film ou les troupes d'interventions et les gardes nationaux doivent déloger des personnes d'origine hispanique et africaine qui refusent de se soumettre au regroupement des personnes et à la destruction systématique des cadavres.
"Ils honorent les morts avec tout le respect qui leur est dû" et de fait, ils représentent un danger en cachant des zombies (ou futurs zombies) dans leur cave.
Un des soldats, Wooley ne cessera de proférer des insultes racistes pendant l’intervention ("saloperie de porto-ricains et de nègres"), montre sa jalousie ("vivent comme des rois alors que je croupis dans une grotte") et surtout commet des bavures dans le cadre de son travail puisque la première tête qui explose du film est son ouvrage et n'est pas celle d'un zombie. Wooley sera tué un peu plus tard par un de ses collègues (Peter qui est noir) aprés que Roger eut essayé de l'arrêter, dans la version d'Argento, cette scène est beaucoup plus courte et l'impact de sa mort est plus faible, l'amitié de Peter et de Roger sera dès lors perçu de manière différente dans cette version car leur "rencontre" dans la cave semblera assez surréaliste.
Cette séquence illustre une fois encore les tensions exacerbées par cette situation, rien de plus commun que le racisme mais ici c'est une véritable folie meutrière et vengeresse à laquelle on assiste, la frénésie avec laquelle Wooley tue les habitants de cet immeuble est celle d'un fou. Il semble que le racisme auquel il était déjà habitué lui permettra de fuir l'angoisse de cette invasion de zombie et de reporter toutes ses peurs sur un bouc émissaire: les minorités raciales.
Ce "transfert" est quelque chose d'assez politique puisque c'est la technique des partis populistes pour séduire ses électeurs, jouer sur leur peur et mobiliser ainsi leur attention, leur énergie et leur haine, cette dernière étant souvent exclusivement réservé à une portion ciblée de a population sensée être à l’origine de tous les problèmes. De cette façon, il est assez facile de faire passer un programme souvent simpliste dans son appréhension des problèmes de société. Ici Wooley se sert de sa haine raciste, la décuple jusqu’à son paroxysme pour se masquer la peur ou la panique qui doit le titiller.
La seconde séquence ou le racisme est flagrant est celle suivant l'invasion des pillards, à partir du moment ou Peter tire sur les pillards qui vont le voir et le poursuivre dans la galerie marchande. Il s'agit d'une traque car il est pour ainsi dire seul contre tous (c'est le moment que choisit Stephen pour perdre tout sang-froid), Savini le traitera à plusieurs reprises de "maurico", mais ici contrairement à la première séquence (ou les noirs et les porto-ricains étaient nombreux mais écrasés par le professionnalisme des sections d'interventions et par la violence et la lâcheté des tirs de Wooley), ici le noir (Peter) a beau être seul face aux pillards et à un de leurs habiles meneurs (Savini), il est le plus fort car non seulement il connait et a aménagé les lieux mais en plus il est intelligent, fin stratège. Il incarne ainsi l'image de la réussite, de l'affirmation de ses qualités dans un monde ou les minorités raciales ont toujours été opprimées et limitées dans leurs devenirs; il représente la réussite et le charisme de l'homme habile dans un contexte normal et là c'est l'image même de la survivance, le genre d'espoir que peut avoir l'espèce humaine face aux zombies, on voit bien là le pied de nez aux théories et considérations racistes qui voient dans l'homme noir un être méprisable et sous-évolué car ici Peter est le surhomme, plus fort que le péril naturel (les zombies) et plus fort que ses semblables (les hommes dont Roger qui lui est proche du type aryen), un être supérieur assez éloigné de l'image de l'aryen...
Le fait qu'il apparaisse comme le plus intelligent et le plus fort et donc comme le plus à même (selon les cruelles lois de la nature) de représenter le futur de l'humanité par ses actes et les enfants qu'il donnera...à la femme la plus digne de survivre: Francine.
On ne peut s'empêcher de voir entre eux une plus grande complicité qu'entre elle et son propre fiancé (qui n'est sans doutes pas l'homme de sa vie car elle refusera sa demande en mariage et leurs relations se dégradent pendant tout le film- je signale à ce propos qu'il y a plus de scènes à ce sujet dans le montage de Romero dont le traitement des personnages est plus précis ou du moins plus explicite), mais leur loyauté réciproque associée à un cadre inconfortable les en empêche.
Point de sexe entre les deux mais une grande confiance et beaucoup de respect (qui sont quand même des bases fondamentales dans un couple) et puis elle est enceinte, l'enfant qu'elle portera n'est pas le sien mais il l'élèvera avec elle s'ils survivent.
Cette idée du surhomme est d’autant plus présente que l’invasion des zombies est d’un point de vue global une menace pour l’être humain, celui-ci apparaissant souvent au travers de réactions pathétiques de maladresses et d’égoïsme qui donnent à penser que l’homme n’est peut être pas digne de survivre à ce double maléfique mais tellement plus en phase avec la nature qu’est le zombie.
A partir du moment ou se pose cette question sur la légitimité de la survie de l’homme qui, incapable de s’associer avec ses semblables pour cette lutte (qui rappelle les grandes luttes de l’évolution) n’est capable que d’hatiser sa haine envers ses semblables, les personnages nous apparaissent sous un jour nouveau, il se joue dans ce microcosme un concours pour celui qui sera le plus à même de survivre, le plus méritant, le plus digne.